Newsletter de août 2017
Les secrets de Foutez-vous la paix
Cessez de vouloir méditer pour méditer vraiment
Lorsque je dis cela, on pense parfois que je renonce à l’incroyable cadeau que nous fait la pratique et que je dénie les ressources qu’elle offre. Or c’est exactement l’inverse. C’est parce qu’on accepte de ne rien faire, qu’on consent à entrer en rapport avec la vie sans aucune intention particulière, que la méditation nous transforme en profondeur. Voici tout le paradoxe… C’est en ne faisant rien que se fait le geste le plus fort et le plus souverain.
C’est donc bien parce que je sais que la pratique peut transformer nos vies que j’insiste sur le fait que la seule manière de s’y engager est de le faire pour rien, sans aucun but, sans aucune intention. On entre en rapport avec notre vie et c’est cela qui nous transforme !
Le sercret des grandes traditions spirituelles
Dans la tradition tibétaine, le socle de ce que l’on nomme le « dzogchen » considéré comme le sommet de toute voie invite à abandonner l’idée que nous devrions réaliser quelque chose, atteindre un état donné. Nous devons, tout au contraire, nous détendre dans notre « véritable nature ». Il n’y a qu’une seule chose à éliminer : la non reconnaissance d’une sagesse innée. Quand cette nature profonde n’a pas été reconnue, la méditation se poursuit avec l’objectif de développer toujours plus ses capacités — or cet effort, bien loin de nous aider, nous égare et nous éloigne toujours davantage du port. Il faut revenir à la maison et non pas se perdre au loin.
C’est là aussi l’intuition qui préside au développement de l’oraison dans la grande tradition méditative chrétienne. Par exemple au XVIIe siècle français, de Malaval à Mme Guyon, on trouve une même invitation, fidèle à l’esprit des Évangiles, de s’en remettre à la présence de Dieu sans rien chercher, sans rien vouloir. « Que ta volonté soit faite » — devient vraiment le cadre de toute pratique. « Foutez-vous la paix » pour le formuler dans cette perspective, c’est laisser la grâce agir en soi.
Cette approche a souvent été critiquée par toute l’institution religieuse qui trouvait dangereux cet engagement aussi simple, qui n’avait pas besoin de médiations et de rituels pour accéder à la saveur de la vie toute nue. C’est sans doute pourquoi elle est encore aujourd’hui si peu connue et reconnue.
Cette expérience, je l’ai aussi beaucoup acquise au contact des grands poètes d’Occident. Jamais aucun d’eux n’a eu le sentiment d’être l’auteur des poèmes qu’il rédigeait — mais plutôt de recevoir le souffle de la poésie et d’être, en ce sens, à son service (comme j’en ai témoigné dans Pourquoi la poésie ?). Autrement dit, tout poète apprend à se foutre la paix pour écouter ce qu’on nomme parfois « la voix d’Orphée ». Ce « ne rien faire » ne signifie pas une absence de travail, d’effort, de patience, au contraire, mais ces efforts sont situés dans un horizon où l’on sait que l’essentiel est de s’accorder à quelque chose de plus vaste que soi.
Comment la méditation nous guérit du sentiment d’aliénation
En découvrant adolescent la pratique, j’ai été frappé parce que, pour la première fois de ma vie, on me donnait le droit d’être. Enfin, j’avais le droit d’être simplement comme j’étais, avant tout jugement, avant toute évaluation… Quel soulagement ! Pour moi, là est toujours l’essentiel.
Méditer, c’est tout simple, c’est dire oui à ce que nous sommes, sans raison, simplement parce que nous sommes. C’est cela « foutez-vous la paix » — apprendre à retrouver le puits qui dans le désert nous permettra de nous désaltérer.